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Un ménage du printemps difficile chez Québec solidaire

Le co-porte-parole de Québec solidaire, Gabriel Nadeau-Dubois, après son discours au congrès du parti à Gatineau, en novembre 2023.

Le co-porte-parole de Québec solidaire, Gabriel Nadeau-Dubois, après son discours au congrès du parti à Gatineau, en novembre 2023. (Photo d'archives)

Photo : La Presse canadienne / Spencer Colby

Le déchirement interne que vit Québec solidaire cette semaine polarise les troupes. Si certains solidaires tiennent à témoigner leur soutien à Gabriel Nadeau-Dubois, d’autres expriment leur réticence aux changements qu’il réclame au sein du parti. Même la vision des deux cofondateurs de Québec solidaire (QS), Françoise David et Amir Khadir, semble diverger sur certains points.

Gabriel Nadeau-Dubois réagissait cette semaine à la démission de la co-porte-parole féminine de Québec solidaire, Émilise Lessard-Therrien, qui a expliqué dans un long message sur les réseaux sociaux que la vision qu’elle avait pour le parti s’était heurtée à celle d’une petite équipe de professionnel.le.s tissée serrée autour du porte-parole masculin.

M. Nadeau-Dubois dit avoir réfléchi à son avenir et à l’avenir de Québec solidaire après s'être absenté mardi de l’Assemblée nationale pour considérer toutes les options qui s’offraient à lui et à son parti.

Le co-porte-parole et chef parlementaire du deuxième groupe d'opposition à Québec en est venu à la conclusion que son parti devait prioriser ses batailles et que deux grandes réformes s'imposaient : une refonte du programme de QS et un changement de structure.

Depuis, plusieurs députés du parti ont indiqué soutenir leur co-porte-parole masculin, tout en disant que QS nécessite certains changements de fond.

C’est notamment le cas de l’ex-co-porte-parole, Manon Massé, et de la députée de Sherbrooke Christine Labrie – qui avait pris part à la course pour être co-porte-parole en novembre dernier – devenue co-porte-parole par intérim de Québec solidaire, jeudi.

Christine Labrie et Alexandre Leduc en point de presse.

Christine Labrie et Alexandre Leduc à un point de presse de Québec solidaire, à la suite du départ d'Émilise Lessard-Therrien

Photo : Radio-Canada / Sylvain Roy Roussel

Deux écoles de pensée

La réticence de la part d’autres solidaires se fait pourtant sentir. Le député de Jean-Lesage, Sol Zanetti, est sorti de son mutisme, samedi, pour orienter les débats qui s'amorcent au sein de son parti.

Le député de Québec solidaire, Sol Zanetti, à l'Assemblée législative de Québec en novembre 2023.

Le député de Québec solidaire, Sol Zanetti, à l'Assemblée nationale en novembre 2023. (Photo d'archives)

Photo : La Presse canadienne / Jacques Boissinot

Je veux qu’on soit un parti de gouvernement, mais pas un parti ni un gouvernement comme les autres, estime celui qui interprète l’intervention de Gabriel Nadeau-Dubois comme une invitation au débat.

Il fait ainsi référence aux propos de l’ancien leader étudiant qui défendait cette semaine l’idée qu’il [faille] que QS devienne un parti de gouvernement et que cela impose certains changements.

Or, ce n’est pas tant la question de savoir si on veut être un parti de gouvernement, mais de savoir comment y arriver et quel rapport avoir avec le système politique pour être capable d’accomplir nos objectifs, explique M.  Zanetti, qui estime être député d’un parti de convictions.

Sans désavouer la vision pragmatique de Gabriel Nadeau-Dubois, il évoque la conformité du parti au cadre. On essaie d’élargir le cadre, plutôt que de s’y conformer. Manon [Massé] a fait évoluer le cadre étroit de la politique québécoise en prenant le risque d’être elle-même.

Gabriel Nadeau-Dubois, Manon Massé et Amir Khadir à l'Assemblée nationale.

Gabriel Nadeau-Dubois, nouvellement élu, est entouré de Manon Massé et d'Amir Khadir à une conférence de presse tenue en juin 2017 à l'Assemblée nationale. (Photo d'archives)

Photo : La Presse canadienne / Jacques Boissinot

Sa vision rejoint à cet effet celle du tout premier co-porte-parole masculin de QS, Amir Khadir. Il faut trouver des moyens de déjouer le système, et non pas de s'adapter et de se soumettre au système. [...] Si on doit contribuer à une transformation de la politique, ce n'est pas en faisant comme les autres partis, estime-t-il, ajoutant que QS ne doit pas se laisser dicter sa conduite à l'interne par les exigences du Parlement ni par les pouvoirs économiques, comme c'est le cas actuellement.

Un point de vue qui détonne de celui de Françoise David, co-porte-parole du parti de 2006 à 2017. En entrevue à Les faits d’abord, cette dernière semble plutôt être de l’avis de Gabriel Nadeau-Dubois, et juge qu’il faut clarifier le rôle des deux porte-paroles dont l’un ou l’autre va inévitablement devenir chef parlementaire, faisant remarquer que c’est comme ça qu'est faite l’Assemblée nationale; ce sont les règles.

Françoise David en entrevue.

Françoise David, députée solidaire dans la circonscription de Gouin de 2012 à 2017. (Photo d'archives)

Photo : Radio-Canada

En entrevue mercredi avec Patrice Roy sur les ondes de En direct avec Patrice Roy, Gabriel Nadeau-Dubois se gardait quelques portes ouvertes quant à la viabilité du modèle de co-porte-parole. Je pense que le système de co-porte-parole peut encore fonctionner, mais il a été inventé à une époque qui était profondément différente. Il faut examiner ce modèle pour préciser quelles sont les responsabilités des différents porte-parole, faisait-il ressortir.

Si on a décidé, il y a 18 ans, d’élire deux porte-paroles, un homme et une femme, ce n’est pas pour rien, et ça demeure encore d’actualité, tranche toutefois Mme David, soulignant ne pas prendre position ni pour Gabriel, ni pour Émilise.

Le système de co-porte-parole est une façon de faire de la politique différemment, de sortir du cadre normal et c’est quelque chose de précieux, soutient pour sa part Sol Zanetti.

Une gauche pragmatique

En entrevue avec Patrice Roy, Gabriel Nadeau-Dubois indiquait qu’une gauche pragmatique ne veut pas dire une gauche qui abandonne ses idéaux.

Sur ce plan, Amir Khadir indique qu’idéalisme et pragmatisme peuvent très bien se marier. On peut être idéaliste et pragmatique à la fois. Je l'incarne un peu moi-même et on l'a incarné en créant ce parti, dit-il en ajoutant qu'il s’agit carrément d’un faux débat.

L'idéalisme, c’est faire de la politique de manière pragmatique pour changer véritablement les rapports sociaux à l'avantage de la population.

Une citation de Amir Khadir, député solidaire de la circonscription de Mercier de 2008 à 2018

Le médecin de formation fait toutefois une mise en garde : Ça ne veut pas dire de diluer le message. Ça ne veut pas dire de se soumettre aux forces du marché. Ça ne veut surtout pas dire de se soumettre aux impératifs médiatico-politiques de l'Assemblée nationale.

Ces paroles rejoignent particulièrement celles que tenait Catherine Dorion dans la foulée de la publication de son livre intitulé Les têtes brûlées en novembre dernier. Elle revient dans son livre sur les nombreux obstacles qu'elle a rencontrés durant son mandat de quatre ans comme députée. Elle y remet également en question le leadership de Gabriel Nadeau-Dubois et la place qu'il occupe au sein du parti.

Catherine Dorion tenant son livre.

Dans son livre « Les têtes brûlées », Catherine Dorion revient sur les nombreux obstacles rencontrés durant son mandat de quatre ans comme députée solidaire. (Photo d'archives)

Photo : Radio-Canada / Alexandre Duval

Une incompréhension du rôle de député?

Il y a peut-être certains militants qui ne prennent pas complètement la mesure de ce que ça veut dire avoir un caucus de 12 députés appelés chaque jour à répondre à l’actualité, à prendre position, à faire des entrevues, à préparer des motions et à réagir à des projets de loi.

Une citation de Françoise David, députée solidaire dans la circonscription de Gouin de 2012 à 2017

Tout ça se passe à une vitesse invraisemblable, ce qui fait qu’on peut penser que les députés et le personnel qui les entoure vont vite et ne consultent pas largement, explique l'ancienne co-porte-parole.

Mais, franchement, je trouve que les propositions de QS et ses prises de position vont complètement dans le sens des valeurs et des convictions portées par le parti depuis le début. C’est évident qu’avec 12 députés, tout devient plus complexe, poursuit Mme David, précisant qu’à son époque, Amir Khadir était le seul député élu.

La militante féministe précise par ailleurs ne pas être certaine que des visions frontales s’affrontent au sein du parti, tout en ne sachant pas si les visions qui se sont opposées sont si éloignées l'une de l’autre.

Précision

Dans une version précédente de cet article, Radio-Canada ne spécifiait pas que la déclaration de Saguenay et la proposition de mettre à jour le programme du parti sont deux projets distincts.

Déclaration de Saguenay

Gabriel Nadeau-Dubois soutenait mercredi que trois grands rendez-vous seront déterminants pour l’avenir de QS : l’adoption d’une déclaration qui énonce de nouvelles positions pour le parti afin d’avoir une offre politique plus convaincante, la modernisation du programme électoral qui date de 2006 et un changement de la structure de QS, elle aussi mise sur pied à une autre époque. Elle doit être plus efficace, moins lourde et plus simple, défendait Gabriel Nadeau-Dubois.

Si l’évocation récente d’un programme politique mis au goût du jour et simplifié a fait couler beaucoup d'encre, le parti avait pourtant déjà entamé un processus de modernisation de ses principaux engagements politiques, peut-on lire dans un cahier de propositions soumis aux membres le 17 avril dernier.

Ce document, nommée la déclaration de Saguenay – le fruit de la tournée régionale que le parti a tenue après sa défaite électorale de 2022 – vise à amener le parti vers des éléments nouveaux plutôt que de réitérer les engagements pris dans le passé et établit en détail quelques priorités d’un premier gouvernement solidaire.

Par exemple, ladite déclaration va à l’essentiel dans plusieurs domaines tels que les ressources naturelles, l’habitation ou l’agriculture et élague plus que jamais ce que QS présente actuellement dans son programme politique.

Les membres pourront amender les 15 propositions de la déclaration de Saguenay qui visent à être le socle à partir duquel le parti construira son discours politique sur différents dossiers importants pour l’avenir du Québec lors des prochaines années lors du 20e Conseil national qui se tiendra à Saguenay les 24, 25 et 26 mai prochains. S’il est adopté, il servira de « boussole » pour les prochaines étapes menant au scrutin de 2026.

Après adoption par les membres de la déclaration, les militants de QS étudieront une proposition pour mettre à jour le programme du parti. Cette démarche mènera à des consultations qui se dérouleront de janvier à avril prochains pour la rédaction du nouveau programme qui devrait être adopté en congrès spécial en octobre 2025.

Une attachée de presse du parti précise par ailleurs que les 15 propositions de la déclaration pourraient être adoptées par les membres, mais pas le programme politique, par exemple.

Il y a sans doute un peu de révision de texte à faire. Je pense qu’il faut revoir quelques aspects d’un programme qui, oui, commence à dater, avoue par ailleurs Mme David.

Cette dernière parie que les militants vont chercher des voies de passage sur la manière de concilier la démocratie à l’intérieur du parti, le maintien des valeurs et des convictions ainsi que les réaménagements nécessaires au programme et à certaines structures pour que QS devienne effectivement, ou soit de plus en plus, un parti de gouvernement.

Amir Khadir et Françoise David s’adressent aux électeurs lors du lancement de la campagne de Québec solidaire.

Amir Khadir et Françoise David ont fait campagne en 2012 en promettant de réaliser la gratuité scolaire à l’université. (Photo d'archives)

Photo : La Presse canadienne / Graham Hughes

Pour sa part, Amir Khadir indique qu'il n'est pas question d’aller au Conseil national de la fin du mois de mai pour opérer ces clivages.

Notre histoire, c'est des ajouts. On a fondé ce parti dans l'esprit qu'à chaque étape, il faudrait ajouter une couche afin de réunir plus de force. [...] Il n'est pas question que ces débats séparent le parti en deux [écoles de pensée], ajoute-t-il.

L’ADN de QS consiste à concevoir le pouvoir comme un outil de transformation. Gabriel, d’ailleurs, s'est joint à nous pour cette raison.

Une citation de Amir Khadir, député solidaire de la circonscription de Mercier de 2008 à 2018

Il termine en soulignant que le réel contentieux à ses yeux réside dans la gestion interne et la décentralisation au sein même du parti.

Cette divergence de visions entre les deux cofondateurs de Québec solidaire témoigne de la crise qui sévit au sein du parti qui a vu le jour en 2006 à la suite de la fusion de deux entités politiques de gauche au Québec : l'Union des forces progressistes, fondée en 2002, et Option citoyenne, fondée en 2004.

Les démissions s’accumulent

Depuis le départ d’Émilise Lessard-Therrien – quelques mois à peine après avoir été élue par les militants – trois employés ont eux aussi jeté l’éponge.

Mercredi en début d’après-midi, Élisabeth Labelle, qui a été le bras droit de l’ex-co-porte-parole, a annoncé sa démission du comité de coordination national de QS.

Vendredi, la directrice des communications du parti – et amie personnelle de Gabriel Nadeau-Dubois – Gabrielle Brais Harvey, a annoncé qu'elle quittait ses fonctions dans une publication sur Facebook. La même journée, le directeur général adjoint, Keena Grégoire, annonçait lui aussi sa démission.

Avec les informations de François Joly

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